Maintenant que mon temps décroit comme un flambeau
Que mes tâches sont terminées
Maintenant que voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les années
Et qu’au fond de ce ciel que mon essor rêva
Je vois fuir vers l’ombre entraînée
Comme un tourbillon du passé qui s’en va
Tant de belles heures sonnées
Maintenant que je dis : un jour nous triomphons
Le lendemain tout est mensonge
Je suis triste et je marche au bord des flots profonds
Courbé, comme celui qui songe.
Où sont donc passés mes jours évanouis ?
Est-il quelqu’un qui me connaisse ?
Ai-je encore quelque chose dans mes yeux éblouis
De la clarté de ma jeunesse ?
Ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir ?
J’attends, je demande, j’implore
Et je penche tour à tour mes urnes pour avoir
De chacune d’elles une goutte encore.
Gaël, mon ami,
Je te dédie ces quelques vers du grand Victor Hugo. C’est le seul cadeau d’amitié que je peux t’offrir en ce jour de chagrin. L’emphase de Victor contraste bien évidemment avec ta parole à toi, directe et débordante d’un humour tantôt légèrement caustique, tantôt un brin ironique, mais toujours bienveillant, tendre, drôle, pertinent, jamais méchant.
D’ailleurs, tu n’aimais ni les méchants ni les cons. Tu as toujours pensé que si les morts ne sont pas tous des braves types, il faut cependant leur accorder quelques circonstances atténuantes.
Toi en tout cas, brave type, tu l’étais. Un homme bon, un homme de bien, qui ne supportait ni le fanatisme, ni les exclusions, ni les injustices contre lesquels je t’ai vu te lever quand certains arrachaient le sac comme on dit ici.
Ton humour à la Pierre Desproges, mais qui n’appartenait qu’à toi, cachait une profondeur d’esprit et de cœur que tes amis n’ont pas eu de mal à découvrir dès la première rencontre.
Tes valeurs, la tolérance, la curiosité intellectuelle, les solidarités, l’amitié, le goût des autres comme on dit aujourd’hui, tu les as transmises à Jaouen, à Morgan et à Glenn et tes petits-enfants Clara, Loïc, Nina et Léo le savent déjà ou le sauront bientôt.
Mais ta valeur suprême, ce fut l’amour avec un grand A, un grand A comme Anne, la femme de ta vie, ta nana chérie, avec qui tu as formé pendant plus de 45 ans un couple radieux, radieux et rayonnant.
S’il fallait risquer une métaphore, Anne et toi avez vogué sur un bateau qui filait droit sans se soucier des écueils et des petits clapots – comme tu disais - tandis que nombre de tes amis de Colombes, de Paris, de Bretagne, d’ailleurs et d’ici ramaient parfois difficilement dans les barques de leurs amours brinquebalantes.
Heureusement, pour elles, pour eux, il se dressait un phare toujours allumé, tout près du port de toutes les consolations, la maison d’Anne et Gaël.
Soutenir, encourager, ne jamais juger.
Rigolo le Gaël mais un grand frère, sage et précieux dans la tempête pour garder le cap.
A la question de Victor Hugo : ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir, je t’entends répondre : non évidemment, avec un petit accent mi-parigot, mi-belgicain qui te va si bien et qui traduit ton adhésion définitive à la belgitude qu’Anne t’a communiquée dès ton arrivée sous les cieux d’ici, remplis de nuages gris comme ceux de ta chère Bretagne.
Des espoirs et des joies, nous en avons partagés tellement.
Notre voyage en minibus Volkswagen que nous avions acheté ensemble, ironie du sort en ce jour funeste, à un entrepreneur de pompes funèbres et que nous avions fait repeindre de couleurs un peu plus gaies, pour rallier Athènes au prix de nombreuses aventures à Zagreb, chez Gros Tas, et après avoir épuisé quelques garagistes de la côte dalmate et du Péloponnèse.
Et deux ans plus tard, l’arrivée à 4 heures du matin après 12 heures d’autobus, à la gare d’Istanbul, sous un ciel orangé bercé par les premières prières des muezzin, avec nos 6 enfants pressés de piquer un petit somme au London Bezuk.
Et puis tant d’autres week-ends, tant d’autres vacances à Amsterdam, à Veere, dans les Ardennes, dans les Cévennes, à Paris, à Middelkerke, au Crotoy, à Belle Ile, aux festivals de Gand, d’Anvers, d’Avignon, de Châlon s/Saône, et plus récemment à Bordeaux et au Cap Ferret.
Sans oublier les soirées des dimanches « spéciales Dire Straits et Rita Mitsouko » qui se terminaient rituellement par des chansons plus francophones, plus ou moins subtiles mais toujours marines, chantées à tue-tête : oh mon bâteau oh oh oh, quand la mer monte, et les filles du bord de mer.
Des joies partagées aussi avec tous les copains qui sont autour de toi aujourd’hui pour te dire au revoir.
Ceux et celles du Blues Rock Festival d’Houthem, toujours fidèles au poste. Ceux et celles de l’Open Music Jazz Club qui se sont ajoutés aux premiers. Ceux et celles du Club 41.
Le Club de jazz, ce fut l’un des derniers projets de l’architecte de talent que tu étais.
Avec Damien et Bertrand, tu as réussi à transformer un bâtiment un peu pourri en un écrin au service des musiciens. Comme l’ancêtre chanté par l’ami Georges, tu as toujours préféré aux marches militaires et aux Ave Maria les musiques de Django, de John Coltrane, également celles des parrains de notre club, Tiny Legs Tim et Ivan Paduart qui te font aujourd’hui l’amitié de jouer pour toi avant le grand départ.
Toujours comme l’ancêtre de Brassens, qui préférait aux eaux bénites les vins de Marsala, à un prêtre venu te proposer l’hostie sur ton lit d’hôpital, avec humour, toujours l’humour, jusqu’au bout, tu lui as répondu que tu n’avais pas encore très faim…
A dire vrai, je ne sais pas si Dieu existe et si la vie est éternelle au Paradis.
Qu’en cette église, on nous pardonne cette hésitation.
On en a parlé parfois, pas trop souvent quand même car la vie est tellement belle à vivre, ici et maintenant, c’est ce que tu disais.
Peu importe ce que l’on met sur les mots, résurrection des morts, vie éternelle et du monde à venir, ce que je sais c’est que, même si la vie ne sera plus tout à fait la même sans toi, ton esprit nous éclairera sur la route le temps qu’il faut et qu’il nous reste à vivre, longtemps, longtemps, tout le temps.
Comme c’est étrange et réconfortant à la fois.
Je t’entends dire : allez, il est temps, une dernière à boire et à chanter pour la route et pour s’encourager.
Nous étions jeunes et larges d’épaules.
Bandits joyeux, insolents et drôles.
On attendait que la mort nous frôle.
On the road again.
Salut les amis, On the road again.
Salut mon frère de cœur, Respect, on the road again.
Salut l’artiste ! On the road again, again.
Jean-Jacques